Dans les premières décennies du XXe siècle, le désir et le besoin d’une détermination plus «objective» des couleurs se sont faits de plus en plus forts. On souhaitait un système fonctionnant sans étalons chromatiques de référence. La «Commission Internationale d’Éclairage» fut donc chargée d’élaborer un «tableau normalisé des couleurs». Le point de départ est la méthode indirecte de mesure des couleurs par comparaison (colour matching): une couleur est mesurée par un observateur à qui un dispositif spécial permet de faire varier les proportions du mélange additif des trois couleurs primaires, la «couleur» étant ici à comprendre comme la longueur d’onde. L’avantage du système réside dans le fait que la position de chaque couleur peut être déterminée mathématiquement en relation avec chaque couleur primaire. (Texte détaillé)
Les constructions mathématiques peuvent avoir leur séduction esthétique et le diagramme ici présenté en est un bon exemple. Il est connu sous l’appellation de «tableau normalisé des couleurs» et correspond aux souhaits de précision et d’objectivité de nombreux spécialistes de la colorimétrie. Nous avons déjà rencontré quelques systèmes (cf. Albert Henry Munsell et Wilhelm Ostwald) destinés à déterminer les couleurs de façon plus spécifique, mais ils avaient besoin d’échantillons de couleurs. Si l’on veut en effet les inclure dans le cadre de la colorimétrie (ou «mesure scientifique des couleurs»), les problèmes surgissent. D’une part, la comparaison entre un échantillon ou une source lumineuse à déterminer et un modèle standard reste un procédé très aléatoire et subjectif; d’autre part, les étalons de référence peuvent pâlir avec le temps, ce qui rend leur utilisation très douteuse.
Dans les premières décennies du XXe siècle, le désir et le besoin d’une détermination plus «objective» des couleurs se sont faits de plus en plus forts. On souhaitait un système fonctionnant sans étalons chromatiques de référence. La «Commission Internationale d’Eclairage» (ou «C.I.E.») fut donc chargée d’élaborer un «tableau normalisé des couleurs», travail terminé en 1931 et qui a conservé depuis toute sa valeur. Le diagramme chromatique de la C.I.E. — que l’on pourrait comparer à un pain de sucre incliné, à un fer à cheval ou à une langue — cache en fait une longue histoire qui a commencé avec Maxwell et la construction de son triangle chromatique.
Le point de départ est la méthode indirecte de mesure des couleurs par comparaison décrite plus haut (colour matching): une couleur est mesurée par un observateur à qui un dispositif spécial permet de faire varier les proportions du mélange additif des trois couleurs primaires; on parle alors de «valeur trichromique» (tristimulus value), la «couleur» étant ici à comprendre comme la longueur d’onde. On peut, par exemple, déterminer la proportion de rouge, de vert ou de bleu que renferme une lumière de 520 nm. L’observateur notera le résultat sous la forme de trois indices chiffrés appelés par les lettres r, g et b. (On mesure en fait l’énergie du rayonnement correspondant, mais cela n’a aucune incidence pour le diagramme C.I.E.)
Ces premières approches ont donné les bases d’une colorimétrie objective, depuis que l’on a découvert, dans les années vingt, les fameuses courbes de valeurs spectrales (color matching fonctions), surtout grâce aux travaux de W. D. Wright et de J. Gould en Angleterre. A cet effet, on a proposé à un grand nombre de personnes voyant normalement de faire coïncider une lumière monochrome (dotée d’une seule longueur d’onde) et d’énergie constante avec une couleur primaire. A partir des valeurs trichromiques obtenues, on a pu calculer des valeurs moyennes dont l’ensemble donne les courbes de valeurs spectrales, rapportées aux longueurs d’onde. Les chiffres ont été acceptés en 1931 par la C.I.E. et attribués à un «observateur moyen» de pure abstraction méthodologique. La C.I.E. stipula en même temps que l’échantillon à déterminer devait être examiné sous l’éclairage d’un jour moyen. Cet éclairage de référence — noté par un c — fut mis en concurrence avec une source lumineuse artificielle (a) et à la lumière du soleil à midi (b). On retrouvera ces lettres dans le diagramme.
La C.I.E. a fait siennes les colour matching functions, mais elle les a modifiées au préalable grâce à un artifice mathématique, de sorte que seules les valeurs spectrales positives apparaissent. Cela se révèle plus commode pour les calculs, mais rend les résultats difficiles à concevoir. Alors que les anciennes valeurs trichromiques r, g et b de Maxwell étaient encore en rapport avec les couleurs primaires, cette possibilité n’existe plus pour les nouvelles tristimulus values x, y et z de la C.I.E. (bien que l’artifice retenu fasse que le blanc, par exemple, est exprimé par des valeurs égales pour les trois variables). On peut cependant les «convertir» comme Maxwell l’a fait, et cela conduit au tableau présenté.
De même que l’étude de la géographie est simplifiée par l’usage de cartes à deux dimensions, la C.I.E. voulut également favoriser l’étude des couleurs par l’établissement d’une carte. Afin de disposer d’une dimension commode, on détermina donc trois nouvelles variables (ou «proportions de couleur») x, y et z à partir des valeurs mesurées x, y et z, de telle façon que chacune des variables soit égale à la valeur mesurée divisée par la somme des trois valeurs: x = x/(x+y+z), etc. Dans cette transformation, la somme des nouvelles variables donne toujours 1, ce qui permet de ne garder finalement que deux d’entre elles, donc de les présenter dans un tableau à deux dimensions (semblable à une carte de géographie). C’est bien ce que réalise le diagramme de la C.I.E., avec les x en abscisse et les y en ordonnée.
On obtient le diagramme standard en menant une ligne par les points qui situent les tristimulus values pour les différentes longueurs d’onde données. Comme il s’agit des longueurs d’ondes des couleurs du spectre, de 770 à 400 nm, on parle aussi de ligne spectrale. Si l’on mélange la lumière spectrale de 400nm (point à l’extrême gauche) à la lumière correspondante de 770 nm (point à l’extrême droite), on établit que toutes les couleurs obtenues se trouvent précisément sur la ligne qui relie ces deux points: c’est la ligne des pourpres, qui clôt le diagramme.
Celui-ci se fonde en somme sur les capacités de l’œil humain à établir la concordance des couleurs, mais il reste une construction obtenue par le calcul, dont l’avantage réside dans le fait que la position de chaque couleur peut être déterminée mathématiquement en relation avec chaque couleur primaire, indépendamment de tout éclairage spécifique. Le diagramme chromatique de la C.I.E. a une importance supplémentaire: toutes les couleurs disponibles doivent se situer à l’intérieur d’un pain de sucre linguiforme dont les deux côtés sont délimités par les lignes mentionnées plus haut. On y a d’abord porté les trois sources lumineuses a, b et c évoquées ci-dessus; elles sont situées sur une courbe dotée d’indices chiffrés. Ces derniers donnent les températures des lumières, en se fondant sur une loi physique selon laquelle la lumière émise par un corps opaque — sa couleur, donc — varie en fonction de sa température: lorsque le charbon en ignition ou l’acier en fusion deviennent plus chauds, ils changent de couleur. La physique permet ainsi d’attribuer à la lumière du soleil du midi (b) une valeur de 4870 Kelvin, à celle de la lampe (a) une valeur de 2854 Kelvin; la lumière du soleil levant se situe aux alentours de 1800 Kelvin (Le «Kelvin» (K) est l’unité de valeur employée pour l’échelle des températures absolues: 0 K = -273,15° C.)
Le diagramme de la C.I.E. n’est qu’un niveau possible dans l’espace des couleurs, pour regrouper les sensations lumineuses. D’autres plans représentent les couleurs de clarté déclinante, c’est-à-dire les diagrammes correspondants lorsque la lumière diminue. La projection de la ligne spectrale et de celle des pourpres donne une jolie construction que les spécialistes de colorimétrie, pourtant réservés de nature, appellent un «cornet de couleurs».
A côté de son utilité manifeste en colorimétrie, le diagramme de la C.I.E. peut aussi servir à la nomenclature des couleurs. La répartition présentée est l’œuvre de Kenneth L. Kelly qui a suggéré une indication pour chacune des zones. Le plus grand secteur (en haut, à gauche) reçoit le vert, auquel n’est opposé qu’une petite tache pour le rouge, en bas, à droite. Cette répartition inhabituelle est souvent présentée comme un inconvénient du diagramme de la C.I.E. La surface ovale autour du centre ne reçoit aucun nom spécifique et les sources lumineuses étalonnées — a, b et c, par exemple — sont situées à l’intérieur de la courbe tracée. Le diagramme de 1931 peut encore assumer d’autres fonctions. Il permet, tout comme un cercle chromatique, de déterminer des couleurs complémentaires produisant par mélange additif le blanc ou le gris, mais aussi de prévoir les couleurs que l’on va obtenir en mélangeant des lumières, et bien d’autres choses encore. Les colorimétriciens s’en servent avec succès depuis plus d’un demi-siècle.