Au milieu du XIXe siècle, on tenait pour assuré que trois variables et trois seulement — trois «récepteurs» — sont nécessaires et suffisants pour expliquer les mélanges de couleurs. Les physiologistes actuels ne peuvent que constater qu’il existe trois sortes de molécules («photorécepteurs») qui sont particulièrement réceptives aux ondes courtes, moyennes et longues. Le physiologiste autrichien Ewald Hering se concentre plus sur l’introspection des couleurs et constate qu’il n’y a pas trois mais quatre sensations élémentaires de couleur. Selon lui, le jaune peut jouer dans le rouge ou dans le vert, mais non dans le bleu; le bleu, à son tour, dans le rouge ou dans le vert; le rouge dans le jaune ou dans le bleu. On peut donc légitimement nommer ces quatre couleurs les couleurs simples ou fondamentales. (Texte détaillé)
Au milieu du XIXe siècle, on tenait pour assuré que trois variables et trois seulement — trois «récepteurs» — sont nécessaires et suffisants pour expliquer les mélanges de couleurs que James Maxwell et Hermann von Helmholtz avaient expérimentés. Les physiologistes actuels ne peuvent que constater, grâce aux formes modernes de leur science — neuro- et électrophysiologie — qu’il existe trois sortes de molécules («photorécepteurs») qui sont particulièrement réceptives aux ondes courtes, moyennes et longues. Cette observation permet d’expliquer pourquoi certaines dispersions de longueurs d’onde dans la lumière incidente ne peuvent être distinguées d’autres dispersions, et pourquoi différents mélanges peuvent produire les mêmes couleurs; mais l’on ne saurait expliquer les tons des couleurs que nous percevons.
Helmholtz supposait que chacun des trois récepteurs postulés par lui signale directement un ton de couleur déterminé. Aussi nommait-il les récepteurs «bleu», «vert» et «rouge», estimant par exemple que le récepteur bleu suscite la sensation de bleu et ainsi de suite pour les autres. En outre, il était clair pour lui que les sensibilités spectrales des récepteurs se chevauchaient partiellement, de sorte que chaque longueur d’onde pouvait déterminer différents rapports (et corollairement, d’autres perceptions). Cette théorie fut combattue par le physiologiste Ewald Hering (1834-1918) dans les six «communications» qu’il donna à l’Académie impériale des sciences de Vienne, entre 1872 et 1874, sur la «Théorie du sens de la lumière». Ces communications parurent d’abord en quatre livraisons espacées, chacune des trois premières s’arrêtant curieusement au beau milieu d’une phrase, de sorte que les lecteurs devaient attendre à chaque fois… le verbe et la fin de la période ainsi interrompue). Une publication intégrale parut enfin en 1878.
Pour Hering, il s’agit plus de l’introspection des couleurs; il avait aussi étudié longtemps le sens de l’espace dans la vision. Dans ses travaux sur la couleur, il soulignait la difficulté que pose, par exemple, le jaune dans le schéma à trois couleurs. Selon Helmholtz, le jaune devrait naître comme mélange de rouge et de vert et — expérimentation à l’appui — cela ne cadre pas avec l’expérience humaine. La sensation du jaune est élémentaire et ne saurait se ramener à un mélange. Hering soulignait en outre que les mélanges de rouge et de vert n’apparaissent jamais; ils se dissolvent. Un vert rouge est simplement impensable.
Hering en tirait la conclusion qu’il n’y a pas trois mais quatre sensations élémentaires de couleur, ou couleurs psychologiques primaires, qui codifient notre perception par processus d’opposition, comme nous le formulons aujourd’hui. Il écrit ainsi en 1878: «Le jaune peut jouer dans le rouge ou dans le vert, mais non dans le bleu; le bleu, à son tour, dans le rouge ou dans le vert; le rouge dans le jaune ou dans le bleu. On peut donc légitimement nommer ces quatre couleurs, comme Léonard de Vinci l’a déjà fait, les couleurs simples ou fondamentales. C’est aussi pourquoi la langue a, pour les exprimer, des dénominations simples, non empruntées à des éléments naturels, que ces dénominations aient été ou non, à l’origine, tirées d’éléments naturels.»
A propos des couples antagonistes qui rendent compte de toutes les nuances colorées de la lumière visible, Hering lui-même parle encore de «sortes de lumière antagonistes […] qui donnent du blanc lorsqu’elles sont mélangées.» C’est-à-dire qu’«elles ne se complètent pas pour former du blanc, mais le laissent sortir pur, parce qu’elles annulent mutuellement leurs effets antagonistes.» Le blanc était pour lui «une sensation d’un type particulier, tout comme le noir, le rouge, le vert, le jaune ou le bleu.» De là, Hering a postulé un autre couple antagoniste, noir et blanc, afin de pouvoir prendre en considération la clarté. Il y a donc en tout six couleurs fondamentales.
Hering sépare expressément sa «théorie du sens de la lumière» des connaissances de la physique. L’observation que les combinaisons respectives du bleu et du jaune, du rouge et du vert, donnent du blanc n’a de «sens que si l’on comprend, sous le nom de rouge ou de vert non pas des sensations, mais des vibrations de l’éther.»
Les expériences au cours desquelles des personnes sont priées de décrire une impression de lumière colorée corroborent aujourd’hui de façon convaincante la théorie des oppositions de Hering. Ce n’est que lorsqu’ils disposent de quatre éléments — rouge, vert, jaune et bleu — que les sujets peuvent décrire une composition adéquate de chaque couleur. Il y a donc en réalité quatre — et non trois — tons fondamentaux: la neurophysiologie nous l’a appris expérimentalement depuis 1966 (nous en parlerons plus loin). Dans le système des couleurs de Hering, cercle formé d’anneaux antagonistes, ces quatre teintes sont opposées. Nous représentons donc ce cercle avec les quatre couleurs disposées perpendiculairement les unes par rapport aux autres: jaune («y» pour yellow), rouge («r» pour red), bleu («b» pour blue) et vert («g» pour green). Les lignes tiretées indiquent les mélanges 50/50: rouge-jaune («yr»), bleu-rouge («rb»), vert-bleu («bg») et jaune-vert («gy»). En bas à droite, nous avons mis à plat le cercle des opposés.
L’ordre des couleurs selon Hering, qu’il nommait «le système naturel des sensations de couleurs», constitue le fondement du système que l’on présente aujourd’hui sous le sigle «N.C.S.» (pour Natural Colour System, voir planche 51). La suite du cercle chromatique (à droite) indique la position des quatre couleurs ”élémentaires” et les proportions selon lesquelles deux couleurs élémentaires peuvent former des mélanges.
La théorie des opposés ne fut pas acceptée; les élèves de Helmholtz, surtout, la critiquèrent. Leur argumentation soulignait le fait que la proposition de Hering n’a de sens que s’il y a deux processus différents dans le système nerveux, excitation et inhibition. Ce qui paraît aujourd’hui aller de soi avait encore besoin d’élaboration et de preuves, à l’époque de Hering. La perception des couleurs n’est pas devenue plus claire, mais cela n’empêche personne d’en jouir…
Datation: 1878
Origine: Autriche
Couleurs fondamentales: Bleu, rouge, jaune et vert
Forme: Cercle
Systèmes de référence: Pythagoras, Aristoteles, Platon — Maxwell — Helmholtz — Blanc — Höfler — Boring — Birren — Johansson — Hesselgren — N.C.S. — C.I.E.L.A.B. — Albert-Vanel
Bibliographie: E. Hering, «Zur Lehre vom Lichtsinn», Wien 1878; G. A. Agoston (ill. système historique), «Color Theory and Its Application in Art and Design», Heidelberg 1979; S. Hesselgren, «Why Colour Order Systems?», Color Research and Application 9, pp. 220-226 (1984).