L’année même où Lambert bâtit sa pyramide chromatique et établit clairement, pour la première fois, que seul un système tridimensionnel peut embrasser la totalité des couleurs, l’entomologiste Ignaz Schiffermüller publie à Vienne un cercle chromatique nouveau. Son système finit par illustrer la découverte de Newton: on peut ordonner les couleurs selon un cercle chromatique. Au reste, en 1771, Schiffermüller considère qu’il est temps de traiter les couleurs comme un système naturel et de leur accorder une sorte d’ordre naturel, comme on l’a fait depuis longtemps pour les animaux, les plantes et les minéraux; une telle classification deviendra un instrument de travail vite indispensable pour les descriptions des naturalistes, en cette fin du XVIIIe siècle. (Texte détaillé)
L’année même où Lambert bâtissait sa pyramide chromatique et établissait clairement, pour la première fois, que seul un système tridimensionnel pouvait embrasser la totalité des couleurs, Ignaz Schiffermüller publiait à Vienne un cercle chromatique nouveau dont la circonférence était partagée en douze couleurs aux noms traditionnels ou fantaisistes: bleu, vert marin, vert, vert olive, jaune, jaune Orange, rouge feu, rouge cramoisi, rouge violet, bleu violet et bleu feu [sic]. A la différence du système de Harris, les transitions sont ici permanentes et les trois couleurs primaires — bleu, jaune et rouge — sont à égale distance l’une de l’autre. Entre elles s’interposent trois variétés de vert, deux d’orange et quatre de violet (mais sans les couleurs secondaires elles-mêmes). Schiffermüller retient donc douze couleurs, en reprenant les travaux du jésuite français Louis Bertrand Castel qui avait publié en 1740 une Optique des couleurs dans laquelle il élargissait le cercle de Newton de sept à douze couleurs. Le choix de Castel est, sur ce point, assez inhabituel: bleu, vert céladon, vert, olive, jaune, fauve, nacarat (une nuance d’orange), cramoisi, violet, bleu agathe et bleu violant [sic]. Castel se référait aussi aux douze demi-tons de l’échelle musicale.
Bien que Castel ait cherché en son temps à priver de signification la théorie de Newton pour la récuser, l’entreprise de Schiffermüller atteint le contraire. Son système finit par illustrer la découverte de Newton: on peut ordonner les couleurs selon un cercle chromatique. L’entomologiste viennois, spécialisé dans les papillons, est l’un des premiers à opposer comme couleurs complémentaires le bleu en face de l’orange, le jaune en face du violet, le rouge en face du vert marin. Schiffermüller ajoute en outre un soleil — ici seulement suggéré — pour signifier clairement qu’il veut montrer «les couleurs flamboyantes» que la Nature a produites. Grâce aux mélanges, il entend obtenir les «couleurs vivantes et brillantes» que l’on admire dans l’arc-en-ciel. Il considère d’autres juxtapositions de «couleurs voisines» comme esthétiquement incongrues.
Au reste, en 1771, Schiffermüller considérait qu’il était temps de traiter les couleurs comme un système naturel et de leur accorder une sorte d’ordre naturel, comme on l’avait fait depuis longtemps pour les animaux, les plantes et les minéraux; une telle classification deviendrait un instrument de travail vite indispensable pour les descriptions des naturalistes, en cette fin du XVIIIe siècle. Dans son Histoire culturelle des couleurs, John Gage cite l’histoire que le peintre William Williams rapportait en 1787 au sujet d’un illustrateur d’entomologie: «Se trouvant en une terre lointaine et ne connaissant ni artiste ni système rationnel de couleurs, il avait ramassé une multitude de coquillages colorés, avec une patience à toutes épreuves, afin de trouver dans chacun d’eux les différentes nuances colorées qu’il devait repérer et noter dans les ailes de ce merveilleux insecte [le papillon]. C’est qu’il ne soupçonnait pas qu’à partir de deux couleurs, il pût en faire une troisième et ainsi de suite. Il avait ainsi rempli deux grandes corbeilles qu’il disposait à côté de lui, et il lui fallait parfois une demi-journée de pénible travail pour trouver la nuance exacte qu’il recherchait. Quels résultats n’aurait-il pas obtenus, s’il avait su comment mélanger ses couleurs!»
Datation: 1772
Origine: Autriche
Couleurs fondamentales: Rouge, bleu, vert et jaune
Forme: Cercle
Systèmes de référence: Newton — Lambert
Bibliographie: Schiffermüller, «Versuch eines Farbensystems», Wien 1772; C. Parkhurst und R. L. Feller, «Who invented the Color Wheel?», Color Research and Application 7, pp. 217-230 (1982); John Gage, «Kulturgeschichte der Farbe: von der Antike bis zur Gegenwart», Ravensburg: Maier, 1994, p. 170 (mention commentée).