Originaire de Fulda, Kircher était un touche-à-tout: enseignant les mathématiques et l’hébreu, il a par ailleurs essayé de déchiffrer les hiéroglyphes et inventé le principe du miroir ardent. Il nous a laissé plus de quarante ouvrages, dont un spécialement consacré aux couleurs, sous le titre d’Ars magna lucis et umbræ («Le grand art de la lumière et de l’ombre»). Les deux premiers mots renvoient à «l’art» de Raymond Lulle. Rien d’étonnant, donc, à ce que son système donne une représentation logique des couleurs mélangées, symbolisées par des demi-arcs. Kircher considère la couleur comme l’authentique produit (rejeton) de la lumière et de l’ombre. La couleur est une «lumière ombrée» et tout ce qui est visible dans le monde ne l’est que par une lumière ombreuse ou par une ombre lumineuse. (Texte détaillé)
Nous rencontrerons encore Athanase Kircher (1601-1680) un peu plus loin, pour une construction cosmologique étonnante dans laquelle un scarabée se déplace entre les planètes (cf. planche Systèmes astrologiques). Kircher, originaire de Fulda, était un touche-à-tout: enseignant les mathématiques et l’hébreu, il a par ailleurs essayé de déchiffrer les hiéroglyphes et inventé le principe du miroir ardent. Il nous a laissé plus de quarante ouvrages, dont un spécialement consacré aux couleurs, sous le titre d’Ars magna lucis et umbræ («Le grand art de la lumière et de l’ombre»). Les deux premiers mots renvoient à «l’art» de Raymond Lulle, qui sera décrit lui aussi plus loin (cf. planche Ars magna). Rien d’étonnant, donc, à ce que son système donne une représentation logique des couleurs mélangées, symbolisées par des demi-arcs.
A la base de toutes les combinaisons se trouve un diagramme linéaire organisé à partir du noir («niger») et du blanc («albus»), ainsi que de trois couleurs: le jaune («flavus»), le rouge («rubeus») et le bleu («cæruleus»). Nous n’essaierons ni de dénombrer toutes les combinaisons ni de traduire la multitude de dénominations nouvelles comme «subrubeus», «fuscus» ou «incarnatus». Considérons en revanche la position particulière du vert («viridis») qui se trouve au centre, comme le rouge, non pas sur le plan des couleurs pures, mais sur celui des couleurs mélangées. Le vert se situe ainsi au point de rencontre du jaune et du bleu.
Si l’on dessine les arcs partant du blanc vers le haut, et les courbes menant au noir vers le bas, on obtient une image (illustration) qui rappelle le symbole chinois du Yin et du Yang. (Il suffit de garder le tracé par le rouge et de négliger les deux lignes passant par le jaune et le bleu.) Selon cette représentation, on arrive à tous les points colorés du système en partant du blanc et du noir. Le point de départ de l’auteur est ainsi visible: Kircher considère manifestement la lumière comme «l’authentique produit (rejeton) de la lumière et de l’ombre», comme il l’écrit dans la préface de son ouvrage de 1646. La couleur est une «lumière ombrée» et «tout ce qui est visible dans le monde ne l’est que par une lumière ombreuse ou par une ombre lumineuse.»
Le livre de Kircher se compose de huit chapitres qui traitent par exemple de la variété des couleurs, de la coloration des pierres transparentes, des couleurs des plantes et des animaux etc. Pourquoi, se demande Kircher, les animaux à quatre pattes ne sont-ils jamais de couleur dorée, et pourquoi les oiseaux et les insectes peuvent-ils prendre toutes sortes de couleurs? Kircher réfléchit également sur le pourquoi du bleu du ciel, sans parvenir à une explication satisfaisante.
Nous savons bien aujourd’hui que les questions qui commencent par «pourquoi» autorisent toujours deux types de réponse et que l’on n’en trouve généralement qu’un seul. Cet aspect mécanique de la question — pourquoi le ciel est-il bleu? — peut être aujourd’hui résolu par la physique. Elle le fait en indiquant que la lumière qui nous parvient du ciel est une lumière diffractée: les rayons du soleil rencontrent les particules de l’atmosphère et sont diffractés par elles. Lorsque l’on analyse en détail ce processus, il se révèle que les différents composants de la lumière sont diffractés différemment. C’est avant tout la lumière bleue qui l’emporte (la raison physique en étant la hauteur de sa fréquence), de telle façon que nous ne voyons plus essentiellement que le bleu. (Les physiciens démontrent que l’intensité de la lumière diffractée est proportionnelle à la puissance quatre de la fréquence, lorsque les particules qui diffractent la lumière sont assez petites.) Et c’est pourquoi le ciel est bleu, au moins selon le cours de physique.
Kircher n’a évidemment pas pensé à ce genre de réponse et il ne l’aurait pas comprise si on la lui avait proposée. A son époque, la physique de la lumière et des couleurs se faisait encore attendre, mais l’on allait bientôt voir paraître une première optique qui nous dit encore quelque chose aujourd’hui. Nous la prendrons en considération lorsque Sir Isaac Newton aura décomposé la lumière incolore du soleil à travers un prisme. Kircher connaissait déjà le prisme et son effet. Il détermine ses couleurs en disant que les plus claires naissent en passant par le côté du verre le plus faible et les plus sombres par le côté le plus fort. C’est le dernier, parmi les précurseurs, à noter la clarté des couleurs fondamentales et à en tenir compte dans son système. La hiérarchisation des couleurs du clair vers le foncé disparaît avec lui, après deux mille ans de bons et loyaux services et elle ne réapparaîtra qu’au XXe siècle.
Datation: 1646
Origine: Allemagne
Couleurs fondamentales: Noir, blanc; jaune, rouge, bleu
Forme: Arcs
Systèmes de référence: Waller — Newton — Systèmes astrologiques — Ars Magna
Bibliographie: Kircher, «Ars magna lucis et umbrae», Rom 1646; J. W. von Goethe, «Geschichte der Farbenlehre», Erster Teil, München 1963; J. Godwin, «Athanasius Kircher A Renaissance Man and the Quest for Lost Knowledge», London 1979; John Gage, «Kulturgeschichte der Farbe: von der Antike bis zur Gegenwart», Ravensburg: Maier, 1994, p. 233 (mention commentée).
Sites intéressants: Jesuits and the Sciences (Loyola University of Chicago, en anglais)