La tradition hébraïque
Le concept de kabbale apparaît pour la première fois à la fin du XIIe siècle, à la fois dans la communauté de Narbonne et dans le cadre du mouvement hassidique allemand. La kabbale est une doctrine secrète; elle englobe à la fois une mystique et une théosophie dont l’origine fait toujours problème aujourd’hui. Il est totalement exclu de donner, ne serait-ce qu’un aperçu de la complexité infinie de la Kabbale; il est également impossible de découvrir en elle une hiérarchisation uniforme des couleurs, car la coloration des séphiroth (les dix premiers attributs de Dieu) est variable, en fonction de la multiplicité de leurs liaisons. Nous avons donc choisi pour notre schéma la version qui revient le plus souvent dans la tradition. Dans la
Le concept de kabbale (Kabbalah) apparaît pour la première fois à la fin du XIIe siècle, à la fois dans la communauté de Narbonne et dans le cadre du mouvement hassidique allemand. Le mot lui-même est dérivé du verbe kibbel, qui signifie «obtenir», «recevoir», et désigne ainsi l’acte de recevoir la tradition transmise oralement ou par écrit depuis des générations. Le verbe ne dit cependant rien d’une quelconque signification mystique ou ésotérique universelle de cette transmission. La kabbale est une doctrine secrète; elle englobe à la fois une mystique et une théosophie dont l’origine fait toujours problème aujourd’hui, ce pourquoi les indications de temps et de lieu qui vont suivre embrassent en fait un étendue spatio-temporelle considérable. Deux courants se rejoignent en effet dans la kabbale: un courant médiéval d’origine provençale et un courant palestinien qui s’est diffusé dans le bassin méditerranéen entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Dans son ouvrage Origine et débuts de la Kabbale, Gershom Sholem expose la multiplicité et la diversité des sources kabbalistiques. Du courant extatico-prophétique s’est rapproché un courant théosophico-spéculatif qui se manifeste dans le Sépher ha-Zohar («Livre des Splendeurs»); mais à côté de ces éléments, des influences néo-platoniciennes et surtout gnostiques déterminent un bon nombre de motifs kabbalistiques. La mauvaise réputation de la Kabbale vient de sa déviation «pratique», qui englobe des techniques de magie noire, c’est-à-dire qu’elle fournit un attirail complet destiné à un usage profane fondé sur des intérêts vulgaires, ce qui lui a valu la condamnation sans appel des nombreux maîtres de la véritable Kabbale.
Celle-ci a en effet pour objectif la prise de conscience de la nature de l’univers comme manifestation de l’intimité du divin, s’efforçant de revenir aux origines. Ce retour peut advenir sous forme d’une transe extatique, ou par le biais d’une pénétration cognitive de la sphère du divin. Dans les faits, parmi les multiples orientations kabbalistiques, le courant théosophique ou «zoharique» a connu le plus grand développement, avec une orientation délibérément cognitive axée sur la langue et l’écriture. Mêlée à d’autres traditions, c’est cette version de la Kabbale qui a exercé la plus grande influence sur la culture occidentale et sur la pensée philosophique européenne. Dans cette version, l’ascèse mystique se transforme en un chemin de la connaissance et le divin se dévoile progressivement dans une topographie intime et imagée fort complexe.
Les textes anciens donnent des représentations concises de la création et du cosmos, où l’on en revient toujours à spéculer sur la «sagesse» de Dieu, en hébreu hokhmah. On y dit, par exemple, que Dieu «a creusé et créé son univers […] dans les trente-deux merveilleuses voies de la sagesse.» Ces trente-deux voies renvoient à la somme des dix premiers attributs de Dieu (les dix séphiroth), additionnés des vingt-deux chemins qui les relient entre eux et qui se retrouvent dans les vingt-deux consonnes de l’alphabet hébreu.
Dans la grande
Le fondement de la kabbale est l’impossibilité de reconnaître Dieu comme substance, puisqu’il est, en tant que principe fondateur, en dehors du système. Dieu est l’Eïn-soph, l’«illimité», mais aussi le non-être, le néant — donc le dieu caché. Il est conçu comme un point, portant potentiellement en lui-même toutes les formes d’être. L’Eïn-Soph naît du silence, dans le silence — la bouche bée qui n’émet encore aucun son. Eïn-Soph est la lumière qui se retire ou se cache — une flamme obscure, ni blanche ni noire, ni rouge ni verte ni d’aucune autre couleur. C’est la flamme qui ne produit des couleurs qu’en prenant une dimension et une extension, ce pourquoi, dans l’arbre des séphiroth, l’Eïn-Soph est situé en dehors — au-delà de toutes les métaphores et de tous les symboles.
La division traditionnelle du schéma des séphiroth en dix degrés ou formes dérive de l’exégèse fondamentale. Au sommet se tient kéther, la «couronne». Le chemin conduit de là à hokhmah, le lieu de la «sagesse», et de là à binah, l’«intelligence», le «discernement». Ces trois séphiroth constituent la première triade identifiable dans les intersections des quatre principes; ils équivalent aux premiers pas que fait l’Eïn-Soph — le souffle créateur — en dehors de lui-même. Cette triade ressortit au principe de l’émanation, écoulement de l’unité divine immuable et parfaite, avant même le commencement de la création; les trois éléments fondamentaux de l’eau, de l’air et du feu lui correspondent. Dans la deuxième triade — médiane — à l’intersection du principe de la création et du principe de la formation, le chemin venant de binah passe par une position sans chiffre, donné comme daat (la «connaissance»). Viennent ensuite hésed (la «générosité»), guévourah ou din (la «rigueur», instance normative de jugement et de punition) et tiphéreth (la «gloire» et la «beauté»), qui tient l’équilibre entre les deux principes précédents. La troisième triade est à l’intersection du principe de formation et du principe d’action. Elle mène à netsah (la «victoire»), hod (la «majesté») et yésod (le «fondement») qui engendre le monde. Ces deux triades correspondent ensemble à la machine de l’univers, aux sept jours de la création et aux six directions de l’espace. Globalement, les trois triades symbolisent le dieu vivant.
Le parcours aboutit à malkhouth, le «royaume» de la souveraineté divine, le lieu de l’harmonie des sphères produisantes. Il renferme en lui toutes les puissances, constitue la «présence» et l’immanence de Dieu (Shékhinah), le miroir obscur dans lequel les prophètes révèrent la divinité. Le dixième séphiroth représente ainsi Dieu tout-puissant et la synthése qui réunifie.
Il est totalement exclu de donner, ne serait-ce qu’un aperçu de la complexité infinie de la Kabbale; il est également impossible de découvrir en elle une hiérarchisation uniforme des couleurs, car la coloration des séphiroth est variable, en fonction de la multiplicité de leurs liaisons. Nous avons donc choisi pour notre schéma la version qui revient le plus souvent dans la tradition. Par exemple, kéther — la couronne — est d’une lumière incolore, mais elle peut aussi bien être noire lorsqu’elle est mise en relation avec la source, blanche dans ses manifestations inférieures et colorée si elle se rapporte à elle-même. De son côté, hokhmah comporte toutes les couleurs, c’est-à-dire le spectre traditionnel des sept tons qui résident dans l’œil, selon la physiologie du Moyen Age. Pour la représentation, nous avons choisi le bleu, limite du noir et symbole de quintessence par son contenu, également couleur du trône de Dieu. Pour binah, la tradition donne le plus souvent le vert — «une bande verte qui entoure le monde», selon la formule de Sholem. La précision n’est nullement impérative pour les couleurs, puisqu’elles n’assument aucune signification centrale. Elles constituent bien plutôt l’arrière-plan des constructions à l’aide desquelles le monde doit être compris comme expression de la sagesse divine. Dans la triade composée de netsah, hod et yésod, chacun des trois séphiroth comprend toutes les couleurs selon leur degré de saturation. La somme des couleurs peut aussi bien être synthétisée dans les couleurs de l’arc-en-ciel (dont les fondamentales sont ici le blanc, le vert et le rouge). Les kabbalistes ont accordé la plus grande attention à la figure même de l’arc-en-ciel — «le plus surprenant des symboles colorés naturels», selon la formule de Sholem. Il symbolise en effet le pacte renouvelé entre Dieu et la Création, le mot hébreu pour «arc» (kesheth) désignant aussi, dans la littérature rabbinique, le pénis. L’image de l’arc-en-ciel se complète si l’on prend en compte le dixième séphiroth, malkhouth: l’arc-en-ciel naît de son royaume pour y revenir après sa courbe; il représente dans le même temps l’élément féminin de l’épiphanie divine et peut être considéré comme la synthèse colorée de toutes les forces séphirothiques. L’interprétation de l’arc-en-ciel reste toutefois changeante: «L’harmonie des couleurs de l’arc-en-ciel se rapporte partiellement à la concentration et à la réunion des forces actives et génératrices des séphiroth», pour reprendre les termes mêmes de Sholem.
A côté de «l’arbre» des séphiroth, on trouve aussi fréquemment une
A côté de cette tentative de représentation d’un système fondé sur les dix séphiroth, la petite figure de gauche présente une autre
Datation: XIIe-XVIIe siècle
Bibliographie: Z. S. Halevi, «Kabbalah Tradition of hidden knowledge», London 1979; G. Scholem, «Ursprung und Anfänge der Kabbala», Berlin 1962; Carla Randel, «Farbe, Tarot und Kabbala», Heinrich Hugendubel Verlag, München 1994.